Est-il encore temps de se lancer sur Twitch ?

L’avis de Hardisk, spécialiste en marketing d’influence

Qualifiée de plus importante plateforme de streaming de jeux-vidéos, Twitch compte environ 15 millions d’utilisateurs actifs qui visionnent chaque mois des centaines de millions d’heures de contenus sur la plateforme. Détenue par Amazon depuis 2014, Twitch concentre bien plus que des contenus e-sport et steamers spécialisés dans le jeu vidéo. Sur Twitch, on peut aussi se connecter à des chaînes “lifestyle”, “musique”, “DIY” ou encore “just chatting” pour échanger avec d’autres utilisateurs de la plateforme, tout simplement. Les utilisateurs de Twitch sont très fidèles et consomment de grandes quantités de contenus, de là à passer plus de 700 millions d’heures par mois à visionner du contenu sur la plateforme.

À l’heure où de nouvelles plateformes se créent et que les cibles s’éparpillent parmi de nouveaux canaux de streaming, peut-on encore estimer que cela est pertinent pour les influenceurs de se lancer sur Twitch ? Entrepreneur, vidéaste à succès et spécialiste du marketing d'influence, Henri Griesmar nous éclaire sur le potentiel de la plateforme, du point de vue des créateurs et des marques.

As-tu un avis sur ce que propose la plateforme en 2024 ? Est-elle plus avantageuse, intéressante et pertinente ?

Pour répondre à cette question, il faut se placer dans le contexte du live streaming et étudier où est-ce que l’on en est. Concrètement, Twitch est une plateforme de live streaming où l’on va pour regarder du contenu en live spécifiquement. Il y a une possibilité de regarder des VOD, des replays, des lives passés, mais c'est très très peu utilisé. L'usage principal, c'est le live. C'est important de comprendre qu'en fait, aujourd'hui, on est dans une période de contraction sur ce marché.

Personnellement, je parle beaucoup de politique monétaire, mais quand les taux des différentes banques centrales remontent, il y a une complexification pour les boîtes de tech. Il faut qu’elles trouvent du financement et les boîtes de tech sont justement celles qui ont le plus besoin de financement. Leur spécialité principale est de dilapider l’argent. C'est ce que l’on remarque dans tout le secteur de la tech, d’où les nombreux licenciements que l’on voit actuellement.

Et chez Twitch, ça n'a pas manqué. Il y a quelques semaines, la plateforme a fermé en Corée du Sud (le plus gros pays d' e-sport au monde). Pourquoi ? La réponse officielle, ce sont les taxes locales sur la bande passante qui sont un peu complexes. Mais, derrière ça, ce qu’il faut comprendre, c’est que pour Twitch, c’est un petit peu plus compliqué de monétiser les contenus et que les publicités ne rapportent pas grand-chose.

Actuellement, certaines rumeurs tournent au sujet de l'évolution de Twitch Prime, une offre faite par Amazon (qui possède Twitch). Twitch Prime permet d'avoir un sub, et donc un abonnement payant gratuit à une chaîne par mois. Or, la majeure partie des revenus des streamers viennent de ces fameux subs. Et là, on comprend que Twitch va quelque peu modifier ses conditions d'utilisation.

Quelle place Youtube détient-elle dans l’évolution du marché de la vidéo streaming online ?

Le marché de la vidéo en ligne se dirige vers une concentration des usages sur YouTube. La plateforme possède aujourd'hui la majorité des usages de VOD et de contenus froids en règle générale. Cela dépend des trimestres, mais Youtube optimise beaucoup ses contenus shorts, autant voire même plus que les vidéos TikTok, selon certaines périodes.

Désormais, toute la question va être de savoir si Youtube va récupérer cet usage dont une grande part de marché est détenue par Twitch déjà très identifié. A l’origine, Twitch a été lancé au début des années 2010 par deux connaissances nommées Justin Kan et Emmett Shear. Sur Twitch, il y a justement cet aspect communautaire et familial.

C’est drôle, parce que je fais partie des premiers en France, et même le premier à avoir steamer sur plusieurs plateformes en même temps alors même que c’était interdit. Twitch a interdit pendant longtemps le multistreaming. Ce dont je me rends compte quand j’observe d'autres streams YouTube, en regardant mes performances à moi, c'est qu’on a une énorme présence sur YouTube. Aujourd'hui, malgré le fait que je sois depuis des années sur Twitch, YouTube reste la plateforme où j’ai le plus grand nombre de viewers, alors que j'ai lancé ma chaîne il y a moins d'un an.

Après, sur Youtube, tu n’es pas sûr de fidéliser la même communauté d’une semaine à l’autre comme c’est le cas sur Twitch. C’est davantage de la consommation dans l’instantané, comme on pourrait le voir sur d'autres formats comme la vidéo et le short. Twitch, c’est comme une place d’un village où l’on se retrouve entre passionnés : les gens se connaissent, créent des amitiés dans le chat. Ce n'est pas du tout un truc qui se trouve encore sur YouTube. Donc toute la réussite de Twitch à l'avenir va dépendre de la fidélisation de ses communautés d’influenceurs.

Qu’en est-il des taux engagements record comptabilisés il y a encore quelques mois sur Twitch ?

Le taux d’engagement sur Twitch est en constante augmentation. En gros, ce qui est assez rigolo avec Twitch et ce qui est différent avec d'autres plateformes, c'est que Twitch observe un taux de d’engagement horizontal. Sur d'autres plateformes, tu vas avoir une growth vertical, c'est-à-dire que tu vas avoir un taux d'engagement décorrélé des utilisateurs. Le cas principal, c'est TikTok. Tu vas y passer beaucoup de temps, mais si je te demande de me citer le nom des dix derniers créateurs que tu as regardé, tu n’en seras pas capable. Sur YouTube, c'est un peu différent. On a nos chaînes YouTube chouchous. Même si, aujourd'hui, on est de plus en plus influencés par les algorithmes de recommandations qui nous amènent vers des contenus similaires à ce que l’on aime, même si l’on n’a pas d’attache avec les créateurs.

Que penser de la monétisation des comptes sur Twitch ?

Il y a deux trucs intéressants au niveau de la monétisation sur Twitch, qui sont un peu pas communs avec le reste de l'industrie. Le premier, c'est qu'il y a une énorme percée du crowdfunding. Et ça, c'est super intéressant parce qu'aucune autre plateforme n'a réussi à aller sur ce terrain-là que Twitch maîtrise du fait de son ambiance “familiale”.

Côté créateurs, il faut savoir que la plupart des revenus d'un streamer sont issus des subs (des contenus monétisés). Ces subs proviennent des profils qui prennent un abonnement à 5€ par mois à la chaîne pour soutenir le compte du steamer qu’ils suivent ou bien qui disposent d’un abonnement gratuit par mois avec Amazon Prime. Et ça, c'est unique. Youtube a tenté de copier ce modèle, en vain. Leur outil est très bien mais ils n'ont pas du tout les mêmes taux de conversion, c'est énorme comparé à ce que peut faire Twitch.

Au niveau des marques, les entreprises ont des difficultés à comprendre la logique commerciale de Twitch. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des marques qui ont bien compris comment fonctionne Twitch et savent s'y intégrer, mais, le problème, c'est que travailler sur Twitch, on doit travailler avec du format live. Cela a donc un côté relativement imprévisible et donc ça requiert d'avoir un peu de courage.

Les marques européennes suivent généralement ce qui se passe aux Etats-Unis voire parfois en Corée ou en Chine. L'innovation en Europe dans le marketing est vraiment très rare. La France est d’ailleurs l’une des pires élèves. Il faut être prêt à interagir sur un contenu live où steamer et utilisateurs peuvent écrire n’importe quoi à n’importe quel moment dans le chat. Les entreprises s’attendent à ce que les gens tolèrent la lecture de communiqués de presse les uns après les autres comme des pubs à la télévision. En réalité, on sait tous que le marketing ne fonctionne pas comme ça.

Une nouvelle plateforme a fait son apparition il y a quelques mois : Kick, peux-tu nous en dire deux mots ?

J'ai beaucoup suivi cette période là avec l'arrivée de Kick, et c’est assez marrant. Ce qui s'est passé avec Kick, c'est que des gens provenant d'un tout autre univers, celui du casino en ligne, ont créé cette plateforme de streaming pour tout un tas de raisons. Des bonnes et des mauvaises. Honnêtement, je pense qu'en grande partie, ça les arrangeait bien parce qu'ils se faisaient souvent bannir de Twitch parce que Twitch n'aimait pas trop les casinos en ligne. Il y a d’ailleurs une grande hypocrisie autour de ça parce que Twitch n'a aucun problème avec le casino en ligne quand c'est eux qui sont en partenariat avec. Mais quand c'est un concurrent, tout d'un coup, il faut les bannir. Je trouve ça assez rigolo.

Dans la création de Kick, il y a aussi quelque chose d'intéressant qui est le fait que lorsque l’on est patron d'un casino en ligne, on a quand même une pression régulatoire qui est énorme, surtout au sein de l'Union européenne. Je pense qu'il y avait aussi une réflexion de leur part de considérer qu'on construirait pas un business plus safe, plus plan plan, où finalement on n'a pas l'autorité des jeux en France et l'autorité des jeux européens qui veut rentrer dans les bureaux tous les week-ends?

C'est une plateforme qui est vraiment spéciale parce qu'elle s'est créée sur le modèle MTV des années 90. C'est extrêmement sulfureux. On accepte tous les gens qui étaient bannis de Twitch parce qu'ils disaient des horreurs, par exemple. Et paradoxalement, je pense que ce n’est pas un truc qui est fait pour durer. C'est un peu une stratégie des premières années, le petit frère insupportable de Twitch.

C'est pas forcément idiot, parce que ça a fait beaucoup de trafic. Maintenant, il y a quand même un enjeu réputationnel autour de la plateforme qui est réel. La plateforme est pas mal entachée, en tout cas en Europe. Mais on peut noter quand même que dans les Émirats, dans les pays arabes, aux États-Unis, au Canada, l'image est un petit peu en train de changer autour de Kick. Et on y voit des streamers tout à fait respectables, qui ont une bonne réputation, mais aussi d’illustres inconnus.

En gros, ils ont décidé d'être la face étrange et crypto-criminelle de Twitch. Ce qui est intéressant, pour aller un peu dans le concret, c’est que Kick propose un partage du revenus à hauteur de 95/5 avec les streamers. Ça a donc attiré pas mal de monde. Je pense que ça va continuer à monter en tant que plateforme de niche. Sachant que Kick, aujourd'hui, c'est 10% du trafic US et English Speaking. Sur 100% des streams en anglais dans le monde à chaque instant, il y a quand même 10% qui se passe sur Kick. Même si ça reste de la niche, c’est un bon score est terme de viewership.

Est-ce que selon toi, il est toujours judicieux de se lancer sur Twitch aujourd'hui ?

Oui, envisager le live streaming se révèle très judicieux lorsque l'on aspire à élargir sa présence en ligne. À mon sens, limiter sa diffusion à une unique plateforme s'avère contre-productif. Cette perspective varie selon qu'on se place du point de vue d'un créateur de contenu ou d'une marque, les enjeux n'étant clairement pas identiques. Principalement du côté des créateurs, l'idée de se concentrer exclusivement sur le live streaming est peu judicieuse.

Du point de vue d'un créateur, s'engager dans le live streaming exige une stratégie où le live ne constitue pas l'essence du contenu. Il devrait plutôt servir de levier pour produire des vidéos et des shorts pour YouTube, lesquels devraient ensuite être diffusés sur diverses plateformes.

Il est recommandé d'adopter une approche globale, et envisager la diffusion simultanée sur une dizaine de plateformes dotées d'une audience significative. Se restreindre à une seule plateforme n'a pas de sens. Pourquoi accorder l'exclusivité à une plateforme sans raison valable ?

Il est aussi intéressant de noter l'émergence de pratiques secondaires dans le live streaming, comme l'ascension remarquée du live sur TikTok. Cette plateforme se distingue par une approche plus intime et spontanée, souvent caractérisée par des échanges directs avec l'audience, loin des formats plus élaborés ou professionnels d'autres plateformes. TikTok Live, avec son aspect humain et instantané, incarne une exception dans l'univers du live streaming, où l'authenticité prime sur la production soignée.

Cette singularité de TikTok révèle une tendance plus large : les utilisateurs apprécient et recherchent activement des contenus authentiques. Cela démontre une certaine flexibilité dans la création de contenu, où même les approches moins conventionnelles peuvent rencontrer un succès notable.

En résumé, l'expansion sur plusieurs plateformes de streaming enrichit la portée et l'impact du contenu live, et les plateformes comme TikTok Live offrent un espace unique pour des interactions beaucoup plus spontanées.

Plus globalement, que penses-tu de l’évolution et de la place de Twitch sur le marché du streaming ?

Il y a une percée du contenu sur Twitch qui est formidable, surtout en France ! Les créateurs sont vraiment très très bons. On a une capacité de création quand même que je dise un peu de bien de la France à un moment donné. Non mais c'est plus côté marque en fait où vraiment le niveau est compliqué quoi. Mais côté créateur pour le coup vraiment on est quand même le pays du GP Explorer quoi, on est le pays de toutes ces émissions thématiques.

Des gens produisent du contenu à très forte valeur ajoutée sur Twitch, il se passe beaucoup de choses très intéressantes du point de vue créateur et point de vue marque ! Il faut vraiment prendre en considération la proximité qu'on va avoir avec le consommateur. Et ça, c'est encore quelque chose qui est n’est pas bien compris par les marques. Il y a des publicités sur TikTok, pour prendre un autre exemple, où l’on voit encore, chez Carrefour par exemple, “Ce week-end, promotion sur tout le rayon frais !”. Personne ne veut se faire parler comme ça, plus personne ne veut entendre un truc pareil. C'est du niveau des pubs radio des années 2000. Mais c'est cauchemardesque, ça n'a plus aucun impact. Et en fait, moi, je dirais justement, regardez vos taux de conversion, réformez vos KPI, puisque si pour vous...

Si ces campagnes fonctionnent, c'est que même les KPI ne sont pas bons. C'est-à-dire que le problème est encore plus lointain. Je me permets de dire ça parce qu'on a vraiment pas mal d'expériences avec beaucoup de marques qui ne se rendent pas compte de tout un tas de choses. L'impact sur les gens et sur les conversions qu'on peut avoir de gens quand on a leur confiance et qu'on leur parle comme dans une relation d'égal à égal, ça n'a absolument rien à voir avec les communications traditionnelles de grands groupes.

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Henri Griesmar aka Hardisk

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